DE SANCTIS (F.)

DE SANCTIS (F.)
DE SANCTIS (F.)

«Ma vie a deux pages, l’une littéraire et l’autre politique, écrivait Francesco De Sanctis en 1869; ce sont deux devoirs que j’accomplirai jusqu’au bout.» S’il est vrai que son rôle politique en Italie ne fut pas négligeable, on retient surtout aujourd’hui sa conception originale de l’art comme forme, malheureusement limitée par un moralisme intransigeant.

Un critique militant

Francesco De Sanctis est né à Morra Irpina dans la province d’Avellino. Quand il eut neuf ans, on l’envoya étudier à Naples chez un oncle qui dirigeait une école privée. Les religieux qui s’occupèrent de sa première éducation firent de lui un lettré frotté d’humanisme, dont la culture et la sensibilité étaient celles d’un homme du XVIIIe siècle. En 1834, une maladie de son oncle l’obligea à interrompre ses études juridiques pour commencer à enseigner à son tour; il continua par ailleurs à se perfectionner en suivant les leçons du marquis Basilio Puoti, un puriste pour qui la littérature s’arrêtait au XVIe siècle. Le disciple devint bientôt un maître, en 1839, à l’école de Vico Bisi où il découvrit l’illuminisme français et italien, puis subit l’influence du néo-catholicisme et de la philosophie moderne, de Sismondi à Hegel en passant par Augustin Thierry et Kant.

La révolution de 1848 vint l’arracher à ses occupations. On le vit sur les barricades aux côtés des insurgés. Après l’échec du soulèvement, il préféra fermer son école plutôt que subir l’examen de catéchisme exigé par la loi. Dénoncé comme conspirateur, il fut arrêté et passa trente-deux mois en prison (1850-1853). Condamné au bannissement à vie, il se réfugia à Turin après sa libération. Ses cours sur Dante (1854-1855) lui valurent alors d’obtenir une chaire de littérature italienne à l’École polytechnique de Zurich, où il resta quatre ans pendant lesquels, à l’occasion de cours publics, il eut la possibilité d’élaborer sa méthode. Quand Garibaldi débarqua en Sicile, il accourut à Naples pour être nommé gouverneur de la province d’Avellino. Plusieurs fois ministre de l’Instruction publique, il fut pendant plus de vingt ans élu à la Chambre, dirigea le quotidien L’Italia (1863-1865), organe de la jeune gauche, et enseigna à l’université de Naples de 1871 à 1877, restant ainsi fidèle à lui-même. Malgré cette activité politique intense, cette période est celle de ses grandes œuvres: les Essais critiques (Saggi critici , 1866), Nouveaux Essais critiques (Nuovi Saggi critici , 1872), Essai critique sur Pétrarque (Saggio critico sul Petrarca , 1869) et l’Histoire de la littérature italienne (Storia della letteratura italiana , 1870-1871). Elles donnent une idée de sa méthode qu’il n’a jamais définie autrement que par des réflexions au sujet des ouvrages examinés.

L’art comme forme

Bien qu’il se soit toujours défendu d’avoir voulu établir les principes d’une esthétique nouvelle, De Sanctis n’en est pas moins parvenu à formuler une théorie originale, dont le premier axiome est l’indépendance de l’art. Il a en effet retenu de Hegel l’idée de l’identité de la forme et du contenu, de leur unité organique, qui fait de l’œuvre d’art une synthèse vivante, autonome, engendrée en toute liberté par cette faculté créatrice qu’il appelle la fantasia. L’œuvre d’art est forme, non pas «la forme, vêtement, voile, miroir ou que sais-je encore, précise-t-il, manifestation d’une généralité distincte d’elle-même, quoique unie à elle; mais la forme dans laquelle est déjà passée l’idée et à laquelle l’individu s’est déjà élevé [...]. Ce qui, en poésie, vit d’une vie immortelle est la forme, quelle que soit l’idée et, partant, le contenu.» Cela ne signifie pas que De Sanctis fasse sienne la théorie de l’art pour l’art qu’il a effectivement connue et rejetée, car il ne saurait exister pour lui de véritable poésie sans une grande richesse intérieure. Il ne suffit pas au poète d’être artiste, «il doit être homme»; il n’est pas de grand écrivain sans conscience morale.

Tout en affirmant le principe de l’autonomie de l’art, De Sanctis reconnaît cependant que la synthèse du contenu et de la forme se trouve rarement réalisée dans l’œuvre d’art. Le rôle du critique consiste alors à «refaire ce qu’a fait le poète, à le refaire à sa façon et avec d’autres moyens», à retrouver le chemin qui l’a conduit de la matière à la forme achevée en mettant en valeur l’écart qu’il peut y avoir entre le «monde intentionnel» du poète et sa «poésie effective». On retrouve ici le dualisme du contenu et de la forme, du contenu qui aspire à se perdre dans la forme, car l’écrivain ne crée pas ex nihilo , mais à partir d’une matière préexistante. C’est cette matière qui, «dans une position concrète et déterminée, acquiert un caractère», devient «situation», c’est-à-dire le contenu poétique «déterminé par les forces du poète et par les conditions extérieures dans lesquelles il vit». De Sanctis réintroduit ainsi un déterminisme, limitant cette liberté de l’esprit qui faisait, selon lui, la dignité du poète créant en toute autonomie. À aucun moment il n’a pensé que l’écrivain devait être indifférent au contenu: un des critères fondamentaux de sa méthode est la distinction qu’il établit entre l’artiste, préoccupé seulement de faire une œuvre belle, et le poète, qui incarne l’«idéal» dans le «réel» ou, comme il dit encore, qui fait coïncider la pensée et la vie. C’est pourquoi, sans contradiction profonde, il a pu faire de sa Storia l’histoire de la conscience morale de l’Italie, de sa civilisation, en reprenant à son compte la thèse, déjà développée par F. Schlegel, Mme de Staël et Sismondi, de la littérature comme expression de la société. «L’art, écrit-il, n’est pas un caprice individuel [...]. L’art, comme la religion et la philosophie, comme les institutions politiques et administratives, est un fait social, un résultat de la culture et de la vie nationales.» C’est là l’idée directrice de son histoire où domine, avec le souci de la morale, le problème de la décadence qui lui fait adopter une division tripartite: le Moyen Âge, dont le livre fondamental est La Divine Comédie , synthèse de la pensée et de l’action, la Renaissance, dont le sommet est le Roland furieux de l’Arioste, prince des artistes, opposé à Dante et à l’époque moderne où la littérature commence à renaître avec Parini, premier homme des temps nouveaux.

Du romantisme au réalisme

En 1877, De Sanctis donne sa démission de professeur pour se consacrer plus activement à la politique. Jusqu’à sa mort, en 1883, il restera au service de son pays, même si, dans les dernières années, son activité parlementaire se trouve réduite par rapport à ses travaux littéraires, son Leopardi notamment, qu’il n’aura pas le temps d’achever. Cet engagement explique qu’il ne soit pas resté indifférent au positivisme et au réalisme qui avaient succédé à l’idéalisme et au romantisme de sa jeunesse. Sans doute dans son Étude sur Émile Zola et, plus encore, dans Il Darwinismo nell’arte a-t-il pris ses distances à l’égard du naturalisme, mais sa sympathie pour Les Rougon-Macquart est acquise.

Il faut ici rappeler ces lignes qui peuvent servir de conclusion: «La matière de l’art, ce n’est ni le beau ni le noble; tout est matière d’art, tout ce qui est vivant; seul ce qui est mort est en dehors de l’art. C’est pourquoi, à la base de l’art, s’il m’est permis d’imiter Térence, il y a cette devise: “Je suis un être vivant; rien de ce qui est vivant ne m’est étranger.”»

Encyclopédie Universelle. 2012.

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